Le dogme du purgatoire est trop oublié de la plupart des fidèles ; l'Église souffrante, où ils ont tant de frères à secourir, où ils doivent prévoir qu'ils passeront bientôt eux-mêmes, semble leur être étrangère.
Cet oubli, vraiment déplorable, faisait gémir saint François de Sales. « Hélas ! disait ce pieux docteur de l'Église, « nous ne nous souvenons pas assez de nos chers trépassés : leur mémoire semble périr avec le son des cloches. »
La cause principale en est dans l'ignorance et le manque de foi : nous avons au sujet du purgatoire des notions trop vagues, une foi trop faible.
Il nous faut donc considérer de plus près cette vie d'outre-tombe, cet état intermédiaire des âmes justes, non dignes encore d'entrer dans la Jérusalem céleste, afin de nous faire des notions plus distinctes et de raviver notre foi.
C'est le but de cet ouvrage : on s'y propose, non de prouver l'existence du purgatoire à des esprits sceptiques ; mais de le faire mieux connaître aux pieux fidèles, qui croient d'une foi divine ce dogme révélé de Dieu. C'est à eux proprement que ce livre s'adresse, pour leur donner du purgatoire une idée moins confuse, je dirais volontiers une idée plus actuelle qu'on n'en a communément, en répandant sur cette grande vérité de la foi le plus de jour possible.
A cet effet nous possédons trois sources de lumière bien distinctes. Premièrement, la doctrine dogmatique de l'Église ; ensuite la doctrine explicative des docteurs de l'Église ; en troisième lieu, les révélations des Saints et les apparitions, qui viennent confirmer l'enseignement des docteurs.
1° La doctrine dogmatique de l'Église au sujet du purgatoire, comprend deux articles que nous indiquerons plus bas au chapitre 3. Ces deux articles sont de foi, et doivent être crus par tout catholique.
2° La doctrine des docteurs et théologiens, ou, si l'on veut, leurs sentiments et explications sur plusieurs questions relatives au purgatoire (Voir aussi plus bas, chap. III et suiv.), ne s'imposent pas comme des articles de foi ; on peut ne pas les admettre sans cesser d'être catholique. Toutefois il serait imprudent, téméraire même de s'en écarter ; et c'est l'esprit de l'Église de suivre les opinions les plus communément enseignées par les docteurs.
3° Les révélations des saints, appelées aussi révélations particulières, n'appartiennent pas au dépôt de la foi, confié par Jésus-Christ à son Église ; ce sont des faits historiques basés sur le témoignage humain. Il est permis de les croire et la piété y trouve un aliment salutaire. On peut aussi ne pas les croire sans pécher contre la foi ; mais s'ils sont constatés, on ne les peut rejeter sans offenser la raison : parce que la saine raison commande à tout homme de donner son assentiment à la vérité, quand elle est suffisamment démontrée.
Pour éclaircir davantage cette matière, expliquons d'abord la nature des révélations dont nous parlons.
Les révélations particulières sont de deux sortes : les unes consistent dans des visions, les autres dans des apparitions. On les appelle particulières, parce que, à la diffé-rence de celles qui se trouvent dans la sainte Écriture, elles ne font point partie de la doctrine révélée pour tous les hommes, et que l'Église ne les propose pas à croire comme des dogmes de foi.
Les visions proprement dites sont des lumières subjectives, que Dieu répand dans l'intelligence d'une créature pour lui découvrir ses mystères. Telles sont les visions des prophètes, celles de saint Paul, celles de sainte Brigitte et de beaucoup d'autres saints. Les visions ont lieu d'ordinaire dans l'état d'extase : elles consistent dans certains spectacles mystérieux, qui se présentent aux yeux de l'âme, et qui ne doivent pas se prendre toujours à la lettre. Souvent ce sont des figures, des images symboliques, qui représentent d'une manière proportionnée à notre intelligence des choses purement spirituelles, dont le langage ordinaire ne saurait donner une idée.
Les apparitions sont, au moins souvent, des phénomènes objectifs, qui ont un objet réel, extérieur. Telle fut l'appa-rition de Moïse et d'Élie sur le Thabor, celle de Samuël évoqué par la Pythonisse d'Endor, celle de l'ange Raphaël à Tobie, celle de beaucoup d'autres anges ; enfin telles sont les apparitions des âmes du purgatoire.
Que les esprits des morts apparaissent quelquefois aux vivants, c'est un fait qu'on ne saurait nier. L'Évangile ne le suppose-t-il pas clairement ? Quand Jésus ressuscité apparut la première fois à ses disciples réunis, ceux-ci crurent voir un esprit. Le Sauveur, loin de dire que les esprits n'apparaissent pas, leur parle ainsi : Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi ces pensées s'élèvent-elles dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds, c'est moi-même ; touchez et voyez, car un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'ai. Luc. XXIV, 37 suiv.
Les apparitions des âmes qui sont au purgatoire, ont lieu fréquemment. On les trouve en grand nombre dans les Vies des saints, elles arrivent même parfois aux fidèles ordinaires. Nous avons recueilli et nous présentons au lecteur ceux de ces faits qui paraissent les plus propres à l'instruire ou à l'édifier.
Mais, nous demandera-t-on, tous ces faits sont-ils histo-riquement certains ? —Nous avons choisi les plus avé-rés (1). Si quelque lecteur en trouve dans le nombre qui lui semblent ne pouvoir soutenir la rigueur de la critique, il peut ne pas les admettre.
Toutefois, pour ne pas donner dans une sévérité exces-sive et voisine de l'incrédulité, il est bon de remarquer que, parlant en général, les apparitions des âmes ont lieu, et ne sauraient être révoquées en doute, qu'elles arrivent même fréquemment.
(1) C'est dans les vies des Saints, honorés comme tels par l'Église, et d'autres illustres serviteurs de Dieu, que nous avons recueilli la plupart des faits que nous citons. Le lecteur qui voudra con-trôler ces faits et les estimer à leur juste valeur, pourra sans peine recourir aux premières sources à l'aide de nos indications. Si le récit est tiré d'une vie de Saint, nous indiquons le jour où son nom est marqué dans le martyrologe, ce qui suffit pour con-sulter les Acta Sanctorum. Si nous mentionnons quelque per-sonnage vénérable, comme le P. Joseph Anchieta, apôtre et thaumaturge du Brésil, dont la vie n'est pas insérée dans les volumes des Bollandistes, il faudra recourir alors à des biogra-phies et des histoires particulières. — Pour les traits que nous empruntons au P. Rossignoli, Merveilles divines dans les âmes du purgatoire (trad. Postel, Tournai, Casterman), ou qui, du moins, se retrouvent en cet ouvrage, nous nous contentons d'in-diquer le numéro de la Merveille, parce que l'auteur y a marqué une ou plusieurs sources où lui-même a puisé.
« Ces sortes d'apparitions, dit l'abbé Ribet (1), ne sont pas rares. Dieu les permet pour le soulagement des âmes, qui viennent exciter notre compassion, et aussi pour nous faire entendre à nous-mêmes combien sont terribles les rigueurs de sa justice contre les fautes que nous réputons légères.
» Saint Grégoire dans ses Dialogues rapporte plusieurs exemples, dont on peut, il est vrai, contester la pleine authenticité ; mais qui, dans la bouche du saint Docteur, prouvent du moins qu'il croyait à la possibilité et à l'exis-tence de ces faits. D'autres auteurs en grand nombre, non moins recommandables que saint Grégoire par la sainteté et la science, rapportent des faits analogues.
» Au reste, ces sortes de récits surabondent dans l'his-toire des saints : pour s'en convaincre, il suffit de parcourir les tables des Acta Sanctorum. Toujours l'Église souffrante a imploré les suffrages de l'Église de la terre ; et ce com-merce, empreint de tristesse, mais aussi plein d'instruction, est pour l'une une source intarissable de soulagement, et pour l'autre une excitation puissante à la sainteté.
» La vision du purgatoire a été accordée à plusieurs saintes âmes. Sainte Catherine de Ricci descendait en esprit au purgatoire toutes les nuits des dimanches ; sainte Lidvine pénétrait pendant ses ravissements dans ce lieu d'expiation, et, conduite par son ange gardien, y visitait les âmes dans leurs tourments. Un ange conduit également la B. Osanne de Mantoue à travers ces sombres abîmes. La B. Véronique de Binasco, sainte Françoise de Rome et bien d'autres, reçoivent des visions tout à fait semblables, avec les mêmes impressions de terreur.